Les sociétés africaines évoluent incontestablement avec le reste du monde. La connectivité et la libéralisation des canaux de communication permettent à tous les jeunes professionnels du continent africain de s’instruire sur le type de Curriculum Vitae (CV) qui a du succès en France ou aux Etats Unis, mais ils parviennent rarement à avoir une connaissance aussi précise du type de CV qui fonctionne en Afrique, ou même seulement dans leur pays de résidence. Il n’existe pas de typologie africaine du CV et tout jeune diplômé qui essaie de s’instruire sur la démarche à suivre est obligé de lire du contenu pas tout à fait adapté.
La recherche de contenu pertinent pour les chercheurs d’emploi
En faisant une recherche simple sur internet au Sénégal sur : « comment faire mon CV », l’ensemble des propositions les mieux référencées sont des sites français et parfois canadiens. Si la même recherche est faite en anglais, on obtient des propositions de sites américains ou anglais. Si l’on pousse la recherche en entrant dans la barre de recherche « comment faire mon CV en Afrique », on accède à des articles qui s’adressent principalement à la diaspora africaine qui souhaite revenir travailler sur le continent. On dirait que les personnes qui développent leur carrière sur le continent savent déjà tout ou alors, ne s’intéressent pas à comment rédiger ou bien rédiger un CV.
Une autre tentative de réponse serait que seuls les membres de la diaspora consomment ces contenus et que les professionnels basés sur le continent ont compris que l’information qu’ils recherchent n’est pas disponible en ligne, ou encore que cette information ne leur servirait à rien, car elle n’est jamais véritablement adaptée à leur contexte.
« Qu’il ait une page ou trois pages, ce qui importe le plus n’est pas son contenu professionnel, mais son contenu culturel et pour cela, il faut rédiger son CV en fonction de son profil culturel le plus adapté. »
Pourquoi n’existe-t-il pas du contenu adapté et destiné aux africains ? Pour répondre à cette question, l’hypothèse la plus plausible serait que l’information reste inadéquate parce qu’elle est copiée d’ailleurs et donc, ne reflète que très peu la réalité dans nos entreprises. L’environnement étant culturellement différent, les situations varient immensément entre ce qui par exemple est admis et pratiqué en France, et ce qui est pratiqué dans nos pays. De plus, les codes du travail des pays comme le Cameroun, le Sénégal, le Bénin ou la Côte d’Ivoire qui sont hérités de la France, ne disposent pas encore de sections qui encadrent le processus de recrutement et ses obligations en entreprise. Le législateur s’est focalisé sur le type de contrat et la relation entre employeur et employé, mais il ne définit pas les obligations et les limites de l’employeur lorsqu’il procède à un recrutement (dans la légalité). Par conséquent, les entreprises définissent elles-mêmes leurs règles et peuvent décider unilatéralement des personnes qu’elles embauchent ou non. Il est difficile dans ces conditions de produire du contenu adapté car, chaque entreprise est seule maîtresse de son processus de recrutement. Pour réussir dans ce contexte, le candidat devra donc développer une stratégie ad hoc plutôt qu’une stratégie globale qui correspond mieux à un environnement standardisé.
Quel format de CV est le plus adapté au contexte africain?
Le CV n’a pas de format standard reconnu par une institution régionale ou continentale en Afrique. Si certaines entreprises exigent à leurs candidats un certain format de CV, la plupart ne s’en inquiètent pas. Les candidats ont le choix de postuler comme bon leur semble et selon le format de CV qu’ils considèrent le plus pertinent. Qu’il ait une page ou trois pages, ce qui importe le plus n’est pas son contenu professionnel, mais son contenu culturel et pour cela, il faut rédiger son CV en fonction de son profil culturel le plus adapté.
« Il est donc primordial pour un candidat au recrutement de (1) se renseigner sur une entreprise avant de postuler à une offre pour adapter sa candidature à celles qui marchent dans ladite entreprise, (2) d’éliminer tous les éléments qui ne sont pas de nature professionnelle comme la date de naissance, le statut marital et parental, la religion, etc. (3) Identifier les atouts de son profil pour les mettre en valeur dans sa candidature. »
Le CV culturel n’est pas un CV ethnique, il n’est pas non plus un CV raciste ou tribaliste, mais essentiellement un CV qui se rapproche de la culture d’une entreprise, de ses valeurs, de son style et de ses objectifs. Le CV culturel est un CV qui tient compte des caractéristiques d’une entreprise et qui met ces éléments en valeur pour attirer l’attention et faire valoir ses compétences. En effet, ce n’est pas tricher que de dissimuler son deuxième nom de famille s’il peut vous porter préjudice. C’est tout aussi légitime de mentionner son statut marital quand on postule pour une offre dans une entreprise qui prône l’union familiale. Le but n’est pas de mentir, mais de se vendre. On ne vend aucun produit en exposant ses défauts ou ses limites.
Pourquoi un CV culturel est-il idéal dans notre contexte?
L’idée de base du CV culturel c’est qu’un CV rédigé dans les règles de l’art ne vaut pas grand-chose s’il ne tient pas compte des subjectivités du recruteur qui peuvent discriminer pour des raisons aussi aléatoires que la date de naissance du candidat. Il est donc primordial pour un candidat au recrutement de (1) se renseigner sur une entreprise avant de postuler à une offre pour adapter sa candidature à celles qui marchent dans ladite entreprise, (2) d’éliminer tous les éléments qui ne sont pas de nature professionnelle comme la date de naissance, le statut marital et parental, la religion, etc. (3) Identifier les atouts de son profil pour les mettre en valeur dans sa candidature. Dans un récent podcast sur l’employabilité des africains, nous avons parlé de l’importance de savoir se vendre comme un produit.
« Dans le jeu de séduction qu’est le recrutement, les candidats africains ont encore très peu de cartes à jouer. «
Il faut reconnaître qu’il est ardu pour un jeune diplômé sur le continent africain de savoir comment se positionner et présenter ses atouts de manière à séduire un recruteur dans ce contexte. En effet, les entreprises en Afrique sont pour la plupart opaques et ne se dévoilent que très peu, ou seulement lors de l’implémentation d’une stratégie de recrutement spéciale (journée portes ouvertes, Forum emploi, programme de recrutement de jeunes, etc.). En général, pour en savoir plus sur une entreprise sous nos cieux, il faut savoir user de ruse. Ailleurs, il existe des données fiables sur les entreprises et des retours d’expérience fournis par les employés anciens et actuels qui permettent de se faire une idée assez claire de l’envers du décor. Un site nommé Glassdoor est bien connu dans le monde pour fournir des informations sur les entreprises, mais une fois encore, les chercheurs d’emploi africains ne sont pas la cible et donc, le contenu est plus utile aux personnes hors du continent. Des informations telles que les intervalles de salaire par catégorie, le retour des employés sur le leadership de l’entreprise, les possibles questions d’interview sont une véritable mine d’or pour un candidat qui souhaite rejoindre une organisation.
Comment faire pour avoir ces informations essentielles?
Il faut développer une stratégie basée sur trois axes dont le premier est nos contacts professionnels qui eux aussi ont un réseau professionnel qui peut nous servir. Par exemple, demander à un ami s’il connaît quelqu’un dans une entreprise X qui pourrait lui donner plus d’information sur un poste à pourvoir est un moyen assez efficace. Aussi, le fait d’entrer en contact avec des professionnels de l’entreprise sur Linkedin pour avoir des retours d’expérience a également montré ses preuves. Dans le jeu de séduction qu’est le recrutement, les candidats africains ont encore très peu de cartes à jouer.
Le second axe à explorer est la recherche. Aussi banal que cela puisse sembler, faire des recherches sur internet par exemple peut nous apporter des informations précieuses sur le type d’entreprise qu’on souhaite rejoindre. Certaines entreprises affichent fièrement les noms et les contacts de leurs employés sur le site internet, vous donnant la possibilité de rencontrer ou de discuter directement avec eux par email/téléphone. On peut trouver dans cette liste d’employés, un oncle, un ami d’enfance ou un aîné dans la profession qui aura suffisamment de franchise pour nous recommander ou non de postuler.
« Le fondement du recrutement est de savoir se faire désirer, mais si on ignore ce que l’autre désire, il est vain de se prêter au jeu et espérer gagner. »
Le 3e axe qui se développe de plus en plus, c’est les réseaux sociaux. Sur LinkedIn par exemple, il est possible de soumettre une invitation au Directeur Général ou encore au Directeur des Ressources humaines de l’entreprise qui nous intéresse. Cette première démarche devra être suivie d’une tentative de connexion directe avec la personne. Par connexion directe, nous ne parlons évidemment des “bonjour Monsieur” ou “Salut grande soeur” qu’on peut souvent lire dans les messages, mais d’une véritable invitation à discuter sur un élément essentiel qui concerne leur entreprise comme par exemple l’expérience candidat, l’impact d’une pandémie sur les activités de l’entreprise, la prochaine campagne de recrutement, etc. Certains ne prendront jamais la peine de vous répondre, mais focalisez vous sur ceux qui ont le souci de rester accessibles malgré leur position.
Comment aller de l’avant pour un meilleur recrutement et de meilleurs candidats?
Les règles du jeu ne sont pas définies équitablement et le recruteur a une trop grande influence sur les candidats. Toutefois, la libéralisation du partage des données d’emploi favorisera la redistribution des cartes et assurera de part et d’autre des entreprises et des candidats qui ont le choix. Le choix étant compris ici comme le pouvoir de préférer une offre ou un candidat en ayant pleine connaissance de cause. De même, une certaine standardisation des processus de recrutement pour éliminer au maximum les discriminations et des préjugés dans la sélection des candidats aidera à la redéfinition des règles du recrutement.
Le fondement du recrutement est de savoir se faire désirer, mais si on ignore ce que l’autre désire, il est vain de se prêter au jeu et espérer gagner. L’opacité et l’absence de normes ne permettent pas aujourd’hui d’informer les chercheurs d’emploi de manière concrète sur les attitudes à adopter ou les aptitudes à développer pour réussir un recrutement. Cela dit, le candidat doit être en mesure de s’adapter à ce contexte en développant des stratégies qui lui permettront de comprendre de l’extérieur ce à quoi il faut s’attendre une fois dans l’entreprise.
La professionnalisation du recrutement et de la recherche d’emploi dans nos pays sont encore embryonnaires et nécessitent une réflexion à l’échelle nationale, mais aussi régionale pour développer un marché du travail ajusté, normalisé et propice au développement de compétences.
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